Chrétien de Troyes devrait bien dresser un monument à la mémoire de Wendelin Foerster, tant ce savant a œuvré pour sa gloire. On oublie trop souvent que l’éditeur impeccable de tant de textes médiévaux, dont il a donné, il y a plus d’un siècle, une édition princeps qui fait encore référence aujourd’hui, resta fidèle toute sa vie à Chrétien. Des générations de savants ont lu Chrétien, avec les lunettes de Foerster ; et puis l’horizon s’est singulièrement rétréci quand on en est venu à éditer le texte du copiste Guiot, puis à l’examiner à la loupe et parfois au microscope. Certes, ces études n’ont pas été vaines, mais leurs auteurs creusaient toujours un des sillons ouverts par Foerster, qui avait fondé la graphie de son texte sur ce que lui indiquait le champenois Guiot, corrigé à l’aide des documents contemporains et des études de linguistique historique. Mais à côté des études sur la graphie ou la morphologie, il restait aussi à retrouver le texte d’un grand auteur, tout en étant bien conscient des limites de ce genre d’exercice. Le fait n’avait plus été tenté depuis Foerster. Les étapes marquantes de cette redécouverte ont été l’édition du ms. BNF fr. 12576 du Conte du Graal par W. Roach, en 1956, entreprise bédiériste, mais qui aboutit à saper la confiance absolue faite au ms. BNF fr. 794, la copie de Guiot, et qui ouvre à son tour la voie à l’édition critique de K. Busby, visant à remplacer celle d’A. Hilka. Plus récemment encore, quelques éditions ont renouvelé l’approche du texte, soit en se fondant sur la copie de Guiot, amplement corrigée (Luttrell-Gregory), soit en éditant un autre manuscrit (Hult), ce qui donne plus de liberté pour en corriger le texte.
Mais le vocabulaire de Chrétien n’a pas été scruté avec suffisamment d’attention. L’enseignement qu’il nous livre est qu’il est parfois plus champenois que l’image qu’en donne Guiot, mais qu’il contient aussi des traces occidentales incontestables. Ces évidences sont aussi brouillées par le fait que Chrétien fut un lettré, qui connaissait aussi la littérature vernaculaire de la génération précédente, et un véritable créateur, qui, à ce titre, a servi de modèle à de nombreux écrivains, qui eux au moins ne le lisaient pas dans la copie de Guiot ! Il faut donc reprendre la lecture du texte de tous les manuscrits de Chrétien, en recherchant systématiquement ce qui peut ou (et c’est peut-être plus aisé) ce qui ne peut pas être de son cru. On pourra voir quelles réflexions nous ont inspirées l’examen d’un passage du Cligès correspondant aux vers 1532 à 1598 de l’édition Foerster.
Wendelin Foerster made so much for the glory of Chrétien de Troyes that this one should build a monument to his memory. It is too often forgotten that the perfect editor of so many medieval texts – of which he gave, more than a century ago, an editio princeps still authoritative today – remained faithful to Chrétien during his entire life. Generations of scholars read Chrétien with the glasses of Foerster ; then the horizon went much narrower when copist Guiot’s text came to be edited, and then studied with a magnifying glass, sometimes even with a microscope. It is certain that these studies where not useless, but they were ever following a furrow ploughed by Foerster, who based the graphy of his text on the Champenois Guiot’s one, corrected with contemporary documents and historical linguistics studies. But besides the studies of graphy and morphology, it remained necessary to find the great author’s text again, while remaining aware of the limits of the exercise. Nobody tried to do it since Foerster. The main steps of this rediscovery were the 1956 edition of MS. BNF fr. 12576 of the Conte du Graal by W. Roach. This work was a bedierist undertaking that ended up however in undermining the absolute faith one had in MS BNF fr. 794, Guiot’s copy, and opened up the way to K. Busby’s critical edition aimed at replacing Hilka’s one. More recently, a few editions renewed the text approach, either using Guiot’s copy with extensive emendations (Luttrell-Gregory), or editing another manuscript (Hult), which allows to feel more free of emending.
But Chrétien’s vocabulary was not scrutinized carefully enough. What it shows to us is that it is sometimes more champenois than what is reflected by Guiot, but that it contains unquestionable occidental marks too. Those obvious facts are made less distinct by the fact that Chrétien was a well-read person, who knew the former generation’s vernacular literature, and a true creator who, as such, was considered as a model by many writers who did not read him in Guiot’s copy ! It is then necessary to resume the reading of the text of all Chrétien’s manuscripts, looking systematically for what can or (which could be easier) cannot be his. For the moment, one can see which thoughts have inspired to us the scrutiny of a passage of the Cligès, corresponding to verses 1532 to 1598 in Foerster’s edition.